Vanille : Tana se prépare à faire le ménage parmi les exportateurs
Vanille : Tana se prépare à faire le ménage parmi les exportateurs
Pour assainir la filière, le ministre de l'industrialisation et du commerce veut réduire le nombre d'exportateurs de la précieuse gousse. En coulisses, cette décision fait trembler le secteur, et particulièrement les acheteurs américains, qui représentent 70 % de la vanille malgache.
Publié le 26/02/2025 à 5h40 GMT
D'ici à octobre 2025, sur les 128 exportateurs agréés de vanille que compte Madagascar, il n'en restera qu'une trentaine. Avant le démarrage de la prochaine campagne de commercialisation, David Ralambofiringa, le ministre de l'industrialisation et du commerce, souhaite ne donner un agrément qu'aux 20 % des exportateurs les plus performants et qui se conforment aux critères de traçabilité. Soit ceux qui, selon lui, établissent 80 % du volume d'exportation et respectent leurs obligations fiscales, notamment le rapatriement des devises.
Nommé en septembre 2024 par Andry Rajoelina, le ministre préside également le Conseil national de la vanille (CNV), l'organisation parapublique qui délivre les agréments d'exportation et gouverne la filière (AI du 27/06/24). Sur ces deux postes, David Ralambofiringa a pris la suite d'Edgard Razafindravahy, dont il a été le directeur de cabinet pendant un an et demi, de 2020 à 2021 (AI du 19/02/25). Parmi les administrateurs actuels du CNV figure le puissant homme d'affaires Maminiaina Ravatomanga, dit "Mamy", qui siège en tant qu'exportateur, avec son entreprise Alliance Export (AI du 03/04/23).
En guise de ballon d'essai, David Ralambofiringa a organisé une réunion secrète le 30 janvier 2025, dans le sous-sol feutré du cossu hôtel Colbert, au cœur du quartier d'Antaninarenina, à Antananarivo. En présence de quelques exportateurs triés sur le volet, le ministre a également évoqué l'idée du rétablissement d'un prix plancher en dessous duquel il serait interdit d'acheter les gousses aux planteurs, afin de leur garantir un revenu minimal décent.
En tirer le maximum Toujours dans une optique d'assainir et de professionnaliser la filière, le ministre souhaite aussi investir dans un laboratoire local, 25 millions de dollars dormant dans les caisses du CNV. Cette somme provient de la cotisation imposée par le gendarme de la filière depuis 2023, à raison de 4 dollars par kilo de vanille exporté.
Cette mesure s'inscrit dans la lignée d'un rapport de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) publié en janvier 2025, qui souligne la nécessité pour Madagascar de renforcer son secteur de transformation afin de tirer le maximum des retombées économiques de l'épice, sans se contenter de vendre la matière première. Le pays joue un rôle central dans l'approvisionnement mondial de la vanille, et pèse pour près de 70 % des parts de marché.
Pour le moment, aucune décision n'a été prise. Et pour cause, elle semble difficile à mettre en place. Le marché de l'exportation est très concurrentiel avec de nombreux petits producteurs et exportateurs, au sein d'entreprises de tailles diverses, qui travaillent ensemble. Ne conserver qu'une trentaine d'exportateurs pourrait avoir un effet sur les quelque 80 000 personnes, essentiellement des familles de planteurs, qui se trouvent en bout de chaîne.
Prix plancher Outre l'interrogation de savoir quelles entreprises passeront la phase de sélection du CNV et du ministère, l'ambition du gouvernement de réduire le nombre d'exportateurs intervient au moment où, selon les estimations, les volumes de la campagne 2024-2025 s'annoncent très élevés. Or, comment vendre cette production importante avec une telle réduction du nombre d'exportateurs ? Couplées à de gros volumes, quelles seront les conséquences de cette mesure sur les prix ?
En coulisses, les opérateurs du secteur ont été longtemps divisés sur le prix plancher de 250 dollars par kilo de vanille, imposé en 2019 aux exportateurs par Lantosoa Rakotomalala, alors ministre du commerce et de l'industrialisation et désormais ambassadrice à Washington.
Dans les faits, ce tarif n'était pas respecté. Cinq ans plus tard, en mai 2023, sous la pression des acheteurs internationaux devenus frileux, son successeur, Edgard Razafindravahy, avait pris un décret interministériel afin de lever ce prix plancher.
Pour la campagne actuelle, Authentic Products, dirigé par Laurence Cailler et Gigi Chan Hoi Mi, Symrise, filiale locale du groupe éponyme piloté par Jean-Yves Parisot, ou encore Somava (une joint-venture entre le suisse Givaudan et Henri Fraise Fils & Co), de Benoît Leroy, se trouvent sur la liste des plus gros exportateurs en volume.
Peser sur le processus de sélection La perspective d'une réduction du nombre d'exportateurs par le gouvernement inquiète particulièrement les importateurs américains, qui représentent environ 70 % des exportations de vanille malgache. Fébriles, ces acheteurs espèrent que leurs partenaires locaux conserveront leur agrément d'exportation, et s'entretiennent régulièrement avec le ministre de l'industrie et du commerce. McCormick & Co, Vanilla Bean Kings, Cook Flavoring Co, Synergy Flavors, ADM, Virginia Dare et Jogue, entre autres, lui ont demandé quels seraient les critères concrets de cette réduction, mais n'ont pas encore obtenu de réponse.
La plupart de ces grands acteurs américains sont membres de la Sustainable Vanilla Initiative (SVI), une association de professionnels de la filière qui rassemble 26 acheteurs internationaux (américains, mais aussi européens, tels le français Touton, le belgo-suisse Barry Callebaut et le suisse Givaudan), ainsi que 21 exportateurs malgaches agréés, comme Floribis et Madagascar Flavors. Dirigée depuis janvier 2024 par la Franco-Américaine Gaël Lescornec, l'organisation, qui compte également Gabriel Sarasin, responsable durabilité de McCormick, dans son comité exécutif, tente, elle aussi, de peser sur le processus de sélection des exportateurs préparé par le ministre.
Côté malgache, David Ralambofiringa sait qu'il a tout intérêt à choyer les clients américains, surtout dans la perspective de maintenir Madagascar dans le périmètre de l'African Growth and Opportunity Act (AGOA). La décision doit être prise par l'administration de Donald Trump le 8 mars 2025. Ce maintien est crucial pour le pays. D'après les chiffres du gouvernement américain, les exportations malgaches, essentiellement de textile, ont atteint en 2023 la valeur de 339 millions de dollars.